Génération DeGen

Inspirée de la tradition des carnets de notes ethnographiques, cette newsletter a pour objectif de présenter successivement des premières analyses sur la génération DéGen, des portraits de DéGens.

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Par matthieu quiniou
29 mai · 5 mn à lire
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Entretien #2 Romain Verlomme-Fried : NFT et marché de l’art DeGen

Profil de Romain Verlomme-Fried @TokenToMe sur Twitter

Pour approcher la génération DeGen, je vous propose des entretiens de différents acteurs qui la constituent et en dessinent les contours esthétiques, économiques, technologiques et culturels.

Les collectionneurs de l’art DeGen et de ses totems culturels se distinguent nettement des collectionneurs d’art contemporain. De l’Hotel Drouot à OpenSea, les codes esthétiques et les pratiques de marché s’entrechoquent même si des passerelles se dessinent entre ces deux mondes. L’art et le marché de l’art DeGen participe d’un évangélisme 3.0 comme l’explique dans l’entretien retranscrit dans cette newsletter, Romain Verlomme-Fried, Commissaire-priseur, Diplômé de la faculté de droit et d'histoire de l'art d'Aix-en-Provence et Fondateur de la société TokenToMe.io, activités de promotion, conseils Web.3. Romain Verlomme-Fried nous livre avec limpidité une analyse sectorielle inédite.

Bonne lecture !

Qu’est-ce qui te plait dans les NFT et l’art crypto ?

Je pense qu'il faut faire une différence entre ces deux termes : Le courant artistique que pourrait être l'art crypto issu du Computer Art ou de l'art numérique, commence dès l'apparition des ordinateurs dans les années 50-60 puis se développe en parallèle de l'art contemporain entre 70-90. On pourrait citer, s'il ne fallait en citer qu'un, Nam June Paik, artiste coréen, pionnier de l'art numérique et notamment connu pour ses installations vidéos en créant des parcours quasi immersifs, il présenta à l'épreuve des visiteurs du Centre Georges Pompidou en 1980, une œuvre (en collaboration avec Catherine Ikam) intitulée Video Cryptography...

Second point : le NFT, qui n'est qu'un protocole informatique d'enregistrement sur blockchain, et donc pas une œuvre d'art au sens littéral, qui permet de manière sécurisée d'enregistrer, sans possibilité de modification, l'originalité de l'œuvre... et par corollaire de créer de la valeur dans un monde numérique, par essence, duplicable à l'infini.

Ce qui me plait donc c'est la rencontre d'une nouvelle technologie au service de la production artistique.

Nam June Paik, Pre-Bell-Man, Museum für Kommunikation, Francfort-sur-le-Main, Allemagne (CC)

Vois-tu un ou plusieurs courants artistiques se dégager avec les NFT : crypto art, art Degen… et à quoi correspondent-ils ?

Au sein même de ce nouveau courant il y a (déjà) plusieurs sous-groupes, au risque d'en oublier certains voici ceux qui me paraissent se démarquer des autres :

-Les OG (les anciens) parfois assez inclassables, je pense à Albertine Meunier

-Les photographes comme leur nom l'indique, on peut citer Justin Aversano qui a explosé avec son travail sur les jumeaux

-Les voxels, contraction de "volumetric" et de "pixel", est une version 3D du pixel Art, technique empruntée de l'imagerie médicale, de l'archéologie, révélé au grand public par minecraft par exemple, en France nous pouvons citer Sir Carma, Alex Booyasan.

-Le Pixel Art avec les cryptopunks mondialement connus dont le plus cher (#5822) s'est vendu plus de 23M$

-Le Street je pense à Pascal Boyart, premier urban artiste à avoir proposé des dons en bitcoin via un QR code apposé à ses œuvres, dans la rue. Son oeuvre la plus célèbre est une ré-interprétation de la fresque de la chapelle Sixtine divisée en NFT.

-Le Glitch qui correspond à un léger bug informatique donnant aux couleurs sur l'écran une esthétique aléatoire et vibrante.

-3D loop, image crée en trois dimensions et parfois animée d'une séquence en boucle.

-Text & code, utilisation de série de chiffres, lettres, sigles à la manière d'un code informatique, avec entre autres Kevin Abosch

-Le Générative Art correspond à une création artistique (numérique) dans laquelle un algorithme produit un résultat aléatoire et non (complètement) défini à l'avance.

-Les hybrides ou phygital, à mi-chemin entre une production physique et numérique, ce courant crée une relation voire une filiation entre les deux créations, Hermine Bourdin et Léo Caillard sont des sculpteurs de haut niveau qui utilisent leurs talents des deux deux côtés de l'écran.

La liste pourrait être complétée avec : Low effort, trash, puzzle art... ou d'autres plus classiques comme les BD, film, musique...

Quel est ton NFT préféré et/ou ton artiste préféré utilisant des NFT ? Pourquoi ?

J'aime beaucoup le travail d'Hermine Bourdin qui allie le travail de la matière et du numérique. Véritable ode à la beauté féminine, ces créations s'animent, dansent, évoluent en réalité augmentée créant un prolongement digital touchant et sensuel.

Le terrestre gravite, la sculpture se libère des contraintes physiques, c'est un art total et totalement maitrisé.

Tweet d'Hermine Bourdin

Selon toi que représentent les NFT de PFP (picture for profile) pour la communauté de collectionneurs ?

C'est une question que je me pose souvent... c'est un signe de reconnaissance, une sorte de badge d'entrée dans un club fermé ; qui a ses codes, son vocabulaire, son réseau social, son métaverse... Cela représente aussi sa date d'entrée dans le monde des NFT, les premiers ont pu avoir des cryptopunks, les plus audacieux les Bored Ape, les plus riches ont pu racheter les deux précédents...  Leurs propriétaires s'en servent pour créer une nouvelle identité numérique...

Montre-moi ton PFP, je te dirai qui tu es.

En tant que commissaire-priseur impliqué dans l’écosystème des NFT et du web 3, comment appréhendes-tu les acheteurs de NFT par rapport à des collectionneurs plus classique d’art contemporain ?

Cette question est celle que tout le monde se pose... qui sont les acheteurs de NFT sachant que dans la majorité des cas ils sont anonymes... et donc comment les atteindre ?

Mis à part quelques grands collectionneurs qui avancent à visages découvert, nous ne sommes pas à Drouot (ndlr quartier et par extension réunion de commissaires-priseurs associés dans un hôtel des ventes dans le 9eme arrdt de Paris), nous n'avons quasiment donc (pour l'instant) aucun contact avec les potentiels acheteurs. A terme nous retomberons dans un système classique, tripartite où le professionnel intermédiaire pourra analyser les habitudes d'achats de ses clients. Mais pour l'instant bien habile celui qui saura anticiper le panel de prospect.

Ce nouvel écosystème n'est pas comparable à celui de l'Art contemporain même s'il y a quelques incursions des collectionneurs d'art physique dans le monde digital.

Les données que nous avons montrent un profil d'utilisateurs bien plus jeune, ayant des revenus souvent issus de la révolution précédente (Internet), généralement motivés par autre chose que l'Art, plus impulsifs aussi.

Pourrais-tu me dire ce qui caractérise pour toi un DeGen ?

Excentricité nouvellement assumée, refus des codes sociétaux et de la notion de travail élevée au rang de but ultime, insoumission à la hiérarchie, utilisation de nouvelles références souvent comprises uniquement par la communauté, nouveau vocabulaire voire novlangue expression chère à Georges Orwell, moins d'individualité, plus de solidarité, auto formation et accumulation de connaissance de manière empirique, volonté de propager un système nouveau tel un évangéliste 3.0.